Tout l’été Necrolumbo s’était évertué à chercher de fond en comble sur les bords de Vienne cette fameuse petite garce. Le Chien n’avait jamais autant arpenté sa capacité à façonner d’innombrables crottes dans autant d’endroits différents de la capitale Limousine. Du matin au soir, du début de la nuit à sa fin, à pied ou en 102, il en avait pardessus son imper !
D’autant plus qu’avec le masque rendu obligatoire ça compliquait sa tâche pour reconnaître les visages facilement. Au moment du confinement personne n’en avait. Mais il y avait bien plus de gens dehors désormais, et des enfants en veux-tu en voilà en plein mois d’Août !
Avec le beau temps, les bords de Vienne étaient bondés, les gestes barrières peu respectés, il n’était pas difficile d’imaginer un nouveau confinement dès la rentrée. Mais Necrolumbo n’avait toujours aucune envie de faire la morale aux gens, ni de les réprimander, et c’est bien normal puisque de toute façon il était suspendu !
I Will Survive retentit au milieu de la rue depuis la poche intérieure de son imper. Oui, il avait craqué à la mode des nouveaux téléphones tactiles et n’osait pas encore le dire à sa femme. C’est un peu pour ça qu’il avait oublié le sien d’avant dans le monde d’après de son 102.
La sonnerie indiquait Bouldener comme contact.
— Ouiiii ? Patron ?
— NECROLUMBO ! Vous êtes réhabilité ! Venez dès demain matin à la première heure !
— Mais… comme ça ? Sans raison ? Vous êtes sûr commissaire ?
— ÉVIDEMMENT QUE JE SUIS SÛR INSPECTEUR ! Vous me prenez pour un bleu ?
— L’enquête a avancé ? Je suis dégagé de tout soupçon ? Quelqu’un a parlé ? Vous avez retrouvé la gamine ?
— VOUS ME FATIGUEZ NECROLUMBO ! Venez demain, c’est tout ce qu’on vous demande !
Bouldener avait raccroché sans attendre une autre réponse.
Le lendemain matin, à la première heure, Necrolumbo était à son bureau en open space, attendant patiemment l’arrivé du commissaire. Il triturait nerveusement son smartphone. Il n’était pas du genre impressionnable, mais entre son désir de comprendre et le regard de ses collègues qui le scrutaient, il avait du mal à cacher sa nervosité.
Il tripotait sa bibliothèque sonore fraîchement téléchargée, une sorte de Graal personnel, qu’il trouvait fascinante et tellement novatrice dans son concept, lui qui n’avait encore qu’un vieux GSM Nokia il n’y a pas 2 mois. Associer de véritables chansons aux contacts téléphoniques, quelle merveilleuse façon d’imaginer l’autre et de le façonner à son désir avant de sortir son téléphone pour lui répondre en toutes circonstances.
La porte de l’open space s’ouvrit brutalement en venant percuter le mur de la grande pièce, Bouldener fit une entrée fracassante et auditive. Necrolumbo sursauta, son doigt glissa sur son smartphone en tombant. Un petit silence précéda le déclenchement du titre « Big Bisou » de Carlos, qui résonna grossièrement en vibrant au sol.
— QU’EST CE QUE VOUS FOUTEZ NECROLUMBO ! Vous faites mu-muse ?
Bouldener se dirigea vers son bureau et commença à s’asseoir. Necrolumbo ramassa son téléphone et le suivit.
— Oh, je, vous, enfin, vous n’imaginez pas les choses époustouflantes que ce genre d’appareil propose, c’est absolument dingue ! Et je…
— Bienvenu dans le 21ème siècle Nécrolumbo, asseyez-vous !
— Ah oui, bien entendu, je suis vieux jeu, je vous prie de m’excuser, je viens de découvrir la modernité voyez-vous, et je ne m’attendais pas à aimer spécialement ça. Mais c’est franchement…
— Vous me fatiguez Nécrolumbo ! Taisez-vous !
Bouldener tria quelques dossiers et en étala sur son bureau quelques pages. Un long silence se fit.
— Nous avons pu certifier que les accusations contre vous n’étaient pas fondées, grâce à des vidéos de la ville et du quartier. On vous y voit clairement vous promener alors qu’une jeune fille vous aborde à s’enquérir de caresser votre chien qui, soit dit en passant, inonde de ses déjections la pelouse municipale.
— Oh oui monsieur le commissaire, oui mais si peu, si peu !
— Il n’est pas à proprement parler du caractère litigieux de votre animal Nécrolumbo, mais du fait que les raisons pour lesquelles vous avez été suspendu n’ont plus lieu d’être.
— Ah, encore grâce à la technologie ! C’est ahurissant les pouvoirs de cette fameuse évolution. Et je ne vous cache pas que finalement, je suis bien heureux de ne pas avoir à prouver mon innocence moi-même.
— Et bien c’est parfait. Vous pouvez retourner braver le pavé dès demain dans ces conditions.
— Demain ?
— Oui demain, un problème Nécrolumbo ?
— Et bien c’est à dire que… ah, ça m’embête de vous dire ça patron mais, demain c’est l’anniversaire du chien, et j’avais promis à ma femme une petite balade pour lui défouler un peu les pattes. Ah vous savez il est vieux Le Chien, je ne me souviens pas vraiment de son âge avec précision, mais je suis sur d’une chose, c’est que ma femme attendait ce petit extra avec autant de sagesse que les pelouse savent accepter les petits chambardements du chien, et…
— STOP ! Nécrolumbo, vous me fatiguez, vous m’avez toujours fatigué, vous me fatiguerez sûrement encore longtemps… va pour la semaine prochaine.
*
Épilogue
Limoges, 2033. 10h20.
Necrolumbo descendait l’avenue Garibaldi en direction de la place Jourdan. A gauche cours Bugeaud. Premier rond-point. Deuxième rond-point, à gauche rue Aristide Briand. Au feux à gauche encore, cours Gay-Lussac. Puis à gauche toujours, cours Vergniaud, jusqu’au premier rond-point de la cours Bugeaud.
Il avait beau faire ce trajet quotidiennement depuis 40 ans maintenant autour du champ de Juillet, rien n’y faisait. A pied, en 102 SP ou en Peugeot 5008, on y retrouvait constamment ces vieilles prostituées de l’Est dont personne ne savait vraiment si ça valait le coup de les laisser bosser ou pas. Ça n’avait pas beaucoup d’importance. Le fait est que pour le peu de dérangement occasionné au quartier malgré de nombreuses plaintes, leur proximité remontait à tellement longtemps. Limoges a d’ailleurs été une des dernières villes à fermer ses maisons closes après guerre, en invitant les clients des brasseries à finir leur verre à l’étage, là où elles avaient sans doute commencé avant Augustoritum, dans la citée Saint Martial.
Nous sommes tous de passage et nous ne choisissons pas toujours la vie que nous voulons avoir.
« Didn’t I BrowYour Mind This Time » de The Delfonics se mit a retentir sur son smartphone.
— Ouiiii allô chérie !
— Mon cher commissaire ! Je sais que ton boulot te tient à cœur, mais je te signale que tu pourrais être au bureau ou à promener Le Chien, ou même être avec moi plutôt que de faire le tour des putes un dimanche !
— Mais comment sais-tu que…
— Ta ta ta ! J’ai toujours su que tu allais là-bas pour réfléchir, et bien avant même quand tu ne sois inspecteur. Mais c’est fini maintenant, tu es commissaire. Il va falloir que tu t’habitues à ce prestige et que tu passes un peu plus de temps avec ta femme et Le Chien !
— Ah oui, bon, d’accord. Écoute, justement je viens de finir le tour, je trouve une boulangerie et je rentre !
— On est dimanche y’a le Pat à Pain avenue Garibaldi d’ouvert !
Comme une sorte de retour en arrière infini par ici…
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