Archives pour la catégorie Série

Une enquête de l’inspecteur Necrolumbo (part 10: final).

Tout l’été Necrolumbo s’était évertué à chercher de fond en comble sur les bords de Vienne cette fameuse petite garce. Le Chien n’avait jamais autant arpenté sa capacité à façonner d’innombrables crottes dans autant d’endroits différents de la capitale Limousine. Du matin au soir, du début de la nuit à sa fin, à pied ou en 102, il en avait pardessus son imper !

D’autant plus qu’avec le masque rendu obligatoire ça compliquait sa tâche pour reconnaître les visages facilement. Au moment du confinement personne n’en avait. Mais il y avait bien plus de gens dehors désormais, et des enfants en veux-tu en voilà en plein mois d’Août !

Avec le beau temps, les bords de Vienne étaient bondés, les gestes barrières peu respectés, il n’était pas difficile d’imaginer un nouveau confinement dès la rentrée. Mais Necrolumbo n’avait toujours aucune envie de faire la morale aux gens, ni de les réprimander, et c’est bien normal puisque de toute façon il était suspendu !

I Will Survive retentit au milieu de la rue depuis la poche intérieure de son imper. Oui, il avait craqué à la mode des nouveaux téléphones tactiles et n’osait pas encore le dire à sa femme. C’est un peu pour ça qu’il avait oublié le sien d’avant dans le monde d’après de son 102.

La sonnerie indiquait Bouldener comme contact.

— Ouiiii ? Patron ?

— NECROLUMBO ! Vous êtes réhabilité ! Venez dès demain matin à la première heure !

— Mais… comme ça ? Sans raison ? Vous êtes sûr commissaire ?

— ÉVIDEMMENT QUE JE SUIS SÛR INSPECTEUR ! Vous me prenez pour un bleu ?

— L’enquête a avancé ? Je suis dégagé de tout soupçon ? Quelqu’un a parlé ? Vous avez retrouvé la gamine ?

— VOUS ME FATIGUEZ NECROLUMBO ! Venez demain, c’est tout ce qu’on vous demande !

Bouldener avait raccroché sans attendre une autre réponse.

Le lendemain matin, à la première heure, Necrolumbo était à son bureau en open space, attendant patiemment l’arrivé du commissaire. Il triturait nerveusement son smartphone. Il n’était pas du genre impressionnable, mais entre son désir de comprendre et le regard de ses collègues qui le scrutaient, il avait du mal à cacher sa nervosité.

Il tripotait sa bibliothèque sonore fraîchement téléchargée, une sorte de Graal personnel, qu’il trouvait fascinante et tellement novatrice dans son concept, lui qui n’avait encore qu’un vieux GSM Nokia il n’y a pas 2 mois. Associer de véritables chansons aux contacts téléphoniques, quelle merveilleuse façon d’imaginer l’autre et de le façonner à son désir avant de sortir son téléphone pour lui répondre en toutes circonstances.

La porte de l’open space s’ouvrit brutalement en venant percuter le mur de la grande pièce, Bouldener fit une entrée fracassante et auditive. Necrolumbo sursauta, son doigt glissa sur son smartphone en tombant. Un petit silence précéda le déclenchement du titre « Big Bisou » de Carlos, qui résonna grossièrement en vibrant au sol.

— QU’EST CE QUE VOUS FOUTEZ NECROLUMBO ! Vous faites mu-muse ?

Bouldener se dirigea vers son bureau et commença à s’asseoir. Necrolumbo ramassa son téléphone et le suivit.

— Oh, je, vous, enfin, vous n’imaginez pas les choses époustouflantes que ce genre d’appareil propose, c’est absolument dingue ! Et je…

— Bienvenu dans le 21ème siècle Nécrolumbo, asseyez-vous !

— Ah oui, bien entendu, je suis vieux jeu, je vous prie de m’excuser, je viens de découvrir la modernité voyez-vous, et je ne m’attendais pas à aimer spécialement ça. Mais c’est franchement…

— Vous me fatiguez Nécrolumbo ! Taisez-vous !

Bouldener tria quelques dossiers et en étala sur son bureau quelques pages. Un long silence se fit.

— Nous avons pu certifier que les accusations contre vous n’étaient pas fondées, grâce à des vidéos de la ville et du quartier. On vous y voit clairement vous promener alors qu’une jeune fille vous aborde à s’enquérir de caresser votre chien qui, soit dit en passant, inonde de ses déjections la pelouse municipale.

— Oh oui monsieur le commissaire, oui mais si peu, si peu !

— Il n’est pas à proprement parler du caractère litigieux de votre animal Nécrolumbo, mais du fait que les raisons pour lesquelles vous avez été suspendu n’ont plus lieu d’être.

— Ah, encore grâce à la technologie ! C’est ahurissant les pouvoirs de cette fameuse évolution. Et je ne vous cache pas que finalement, je suis bien heureux de ne pas avoir à prouver mon innocence moi-même.

— Et bien c’est parfait. Vous pouvez retourner braver le pavé dès demain dans ces conditions.

— Demain ?

— Oui demain, un problème Nécrolumbo ?

— Et bien c’est à dire que… ah, ça m’embête de vous dire ça patron mais, demain c’est l’anniversaire du chien, et j’avais promis à ma femme une petite balade pour lui défouler un peu les pattes. Ah vous savez il est vieux Le Chien, je ne me souviens pas vraiment de son âge avec précision, mais je suis sur d’une chose, c’est que ma femme attendait ce petit extra avec autant de sagesse que les pelouse savent accepter les petits chambardements du chien, et…

— STOP ! Nécrolumbo, vous me fatiguez, vous m’avez toujours fatigué, vous me fatiguerez sûrement encore longtemps… va pour la semaine prochaine.

*

Épilogue

Limoges, 2033. 10h20.

Necrolumbo descendait l’avenue Garibaldi en direction de la place Jourdan. A gauche cours Bugeaud. Premier rond-point. Deuxième rond-point, à gauche rue Aristide Briand. Au feux à gauche encore, cours Gay-Lussac. Puis à gauche toujours, cours Vergniaud, jusqu’au premier rond-point de la cours Bugeaud.

Il avait beau faire ce trajet quotidiennement depuis 40 ans maintenant autour du champ de Juillet, rien n’y faisait. A pied, en 102 SP ou en Peugeot 5008, on y retrouvait constamment ces vieilles prostituées de l’Est dont personne ne savait vraiment si ça valait le coup de les laisser bosser ou pas. Ça n’avait pas beaucoup d’importance. Le fait est que pour le peu de dérangement occasionné au quartier malgré de nombreuses plaintes, leur proximité remontait à tellement longtemps. Limoges a d’ailleurs été une des dernières villes à fermer ses maisons closes après guerre, en invitant les clients des brasseries à finir leur verre à l’étage, là où elles avaient sans doute commencé avant Augustoritum, dans la citée Saint Martial.

Nous sommes tous de passage et nous ne choisissons pas toujours la vie que nous voulons avoir.

« Didn’t I BrowYour Mind This Time » de The Delfonics se mit a retentir sur son smartphone.

— Ouiiii allô chérie !

— Mon cher commissaire ! Je sais que ton boulot te tient à cœur, mais je te signale que tu pourrais être au bureau ou à promener Le Chien, ou même être avec moi plutôt que de faire le tour des putes un dimanche !

— Mais comment sais-tu que…

— Ta ta ta ! J’ai toujours su que tu allais là-bas pour réfléchir, et bien avant même quand tu ne sois inspecteur. Mais c’est fini maintenant, tu es commissaire. Il va falloir que tu t’habitues à ce prestige et que tu passes un peu plus de temps avec ta femme et Le Chien !

— Ah oui, bon, d’accord. Écoute, justement je viens de finir le tour, je trouve une boulangerie et je rentre !

— On est dimanche y’a le Pat à Pain avenue Garibaldi d’ouvert !

Comme une sorte de retour en arrière infini par ici…

©Necromongers 2021

Une enquête de l’inspecteur Necrolumbo (part 9).

Après 4 bouteilles de Sainte-Anne, l’éclairage du vieux Limoges donnait à la rue du Pont Saint-Etienne un air de Moyen-Age crasseux. Necrolumbo pouvait tout à fait fumer à l’intérieur. Malgré la loi en vigueur, Le Petit J était un des derniers bastions de la liberté underground de la ville, mais entre son besoin de prendre l’air et sa déformation professionnelle, la rue l’appelait.

Il n’y avait personne ce soir là, première ouverture depuis la fermeture générale du 27 Mars. Même déconfinés, les gens n’avaient pas encore tout à fait réalisé que le monde se réveillait doucement de sa léthargie forcée.

Le Chien somnolait devant la cheminée, le Petit J en possédait deux. Depuis un certain nombre d’années, rares étaient les fois où l’âtre rayonnait de chaleur, la législation sans doute. Necrolumbo s’était rassi pour finir son verre, sous la complainte de Mark Arm des Mudhoney, qui aboyait « Underide ».

— Votre femme ne va pas trop s’inquiéter Inspecteur ? Il est déjà minuit passé.

— Oh vous savez, elle a l’habitude de mes horaires décalés et incertains !

— Je m’en doute, mais je connais aussi vos habitudes, là vous n’êtes pas en service. Et si je puis me permettre, l’info traîne que vous êtes plus ou moins hors service tout court en ce moment.

Necrolumbo leva les deux bras en l’air en penchant la tête vers le bas, balançant un regard en coin au patron.

— Ahhhh mais si y’a des choses qui se disent en plus ! Les gens vont bientôt être plus fort que ma femme dans les colportages !

— Je ne porte pas de jugement, je vous dis juste ce qu’il se raconte. De ce que j’en sais, si tous les flics étaient comme vous l’image de la police serait bien meilleure.

— C’est gentil ce que vous dites. Je n’ai pas d’avis sur la question, je fais au mieux, et concernant ma situation actuelle, oui, je confirme que je suis en pause.

Sans plus en rajouter, Necrolumbo laissa un billet sur la table, se leva, réveilla Le Chien, et saluât poliment le tenancier.

— Je vous remercie de votre accueil patron, et du moment que vous avez bien voulu passer en ma compagnie, moi, et Le chien ! Dit-il amusé.

En rentrant, il trouva sa femme assise dans le boudoir, lisant France Dimanche. Il lui fit un sourire complice.

— Tu n’as pas trouvé le temps trop long ? Il ne fallait pas m’attendre tu sais, j’avais besoin de me ressourcer.

— Mon cher Inspecteur, ce n’est pas parce que tu racontes partout que je suis la seule à me servir de ton prénom que tu dois oublier mon existence. Cela s’appelle le téléphone.

Necrolumbo resta confondu quelques secondes, en arrêt sur image. Et puis il porta la main à son front en ouvrant grand les yeux.

— Sapristi ! J’ai oublié l’objet du délit dans la sacoche du 102 depuis plusieurs jours ! Cela fait tellement longtemps qu’il n’a pas sonné que j’en ai oublié son existence, à lui.

— Ton humour ne te sauvera pas. Arrête un peu de t’apitoyer sur ton sort, et laisse Le Chien en dehors de tes escapades. Tu empestes la bière Inspecteur.

— Hormis un peu de sport d’altitude, Le Chien n’a rien fait d’inhabituel, il pète toujours en dormant.

— La bière fait ça aussi.

Necrolumbo expira profondément avant de détacher Le Chien, qui se précipita sur son fauteuil favori, et péta en grognant. Il ôta son pardessus qu’il accrocha au porte manteau, déposa ses clefs dans le vide poche près de l’entrée et s’approcha de sa femme pour la prendre dans ses bras.

— Je ne sais pas ce qu’il s’est passé chérie. Je n’ai rien fait d’autre que ce que tu m’as toujours conseillé, rester juste et clément. Et puis je suis tombé sur cette enfant mauvaise et mythomane. Rien d’autre.

— Personne ne dit le contraire mon cher, ce que je dis moi c’est que tu attends bêtement sans mener ta propre enquête.

Necrolumbo eu un mouvement de recul.

— Mais… Bouldener ! Je risque plus que la mise à pied si je mène une enquête contre moi !

— Tu ne l’a mènes pas contre toi, mais pour toi, pour nous, pour ton intégrité, ta présomption d’innocence, pour toutes ces années à avoir été le policier le plus aimé de la ville ! Ça vaut bien une petite entorse au règlement !

Necrolumbo s’attendait à un sermon de sa femme mais pas à celui-là. Il était près à passer pour un imbécile dans le cadre de ses fonctions mais pas pour ce qu’il n’était pas et n’avait jamais été.

(à suivre…)

©Necrolumbo by Necromongers

Une enquête de l’inspecteur Necrolumbo (part 8).

Cela faisait déjà plusieurs jours que Necrolumbo ne mangeait plus beaucoup. Cet entretien avec le commissaire Bouldener avait été éprouvant. Avachi sur le sofa du boudoir, fumant cigarillos sur cigarillos, il réfléchissait à la situation bière après bière.

Ce n’était pas vraiment son habitude de boire, ni de se faire sermonner par sa femme pour avoir sorti le chien une fois de trop. Cette fois-ci les pâtisseries n’y pourraient rien. Il avait beau se remémorer le soi-disant incident, cette gamine était vraiment mal élevée.

En attendant les résultats de l’enquête interne il était mis à pied. Nous étions officiellement le troisième jour du déconfinement, et Necrolumbo avait tout fait (avec zèle et succès) pour ne rien avoir à reprocher à personne. Aucune amende, aucune interpellation, aucune violence de métier à signaler. Aussi, ce moment de carrière entaché par les accusations d’une petite morveuse mal confinée, l’avait quelque peu décontenancé.

Il ne tenait plus à l’intérieur. Aussi, il ferait comme d’habitude, aller promener Le Chien au bord de la Vienne.

Il descendit la rue du Puy Lannaud pour rejoindre l’Avenue du Sablard, jusqu’au Pont Saint-Étienne. Il avait l’habitude de prendre, soit par le quai à gauche par la rue de Clos Sainte-Marie, puis passer sous le Pont Neuf, continuer sous le Quai d’Auzette, afin de rallier le Pont Saint-Martial. De là il traversait et reprenait à droite pour revenir par l’autre côté. Rue de la Filature, passer devant l’Apsah, longer le bord de Vienne pour repasser sous le Pont Neuf et rallier de nouveau le Pont Saint-Étienne. Et sinon, et bien il faisait l’inverse en traversant d’abord le Pont Saint-Étienne. De toute façon il y avait des distributeurs de sacs à crottes tout le long, donc le sens n’avait pas beaucoup d’importance.

Il regarda sa montre à gousset, elle indiquait 22h05. Une fois n’était pas coutume, il n’était pas en service, et à deux pas de la maison il y avait le Petit Jourdan, ce troquet emblématique de la ville, qui était sans doute resté coincé dans un film de la Hammer depuis 50 ans. Il ne retraversa pas le Pont Saint-Étienne mais fila sur la rue du même nom en traversant le Port du Naveix, grimpant les vieilles marches médiévales jusqu’en haut de la rue. Quoi qu’un peu baveux, Le Chien suivait bien.

Labellisé « Taverne Underground », le petit J comme on l’appelait communément, était un bar de nuit pour chats sauvages, délinquants en pause boisson, et anthropomorphistes du rock indé. Bref, absolument pas un endroit pour les morveuses faussement MeToo à peine en âge d’être sur les réseaux.

Il poussa la porte et entra dans le sas, avant de pousser l’autre porte pour entrer dans le bar.

— Le Chien est accepté dans l’établissement patron ?

— S’il sait se tenir et qu’il n’écoute pas de l’Indie Pop c’est ok.

— Il n’écoute que la voix de son maître ! Bon d’accord, je dois vous l’avouer, des fois il écoute aussi du classique et sa patronne. Ah, et puis aussi Mark Lanegan et Isobel Campbell.

— Le chanteur des Screaming Trees ? Parfait, vous êtes mon invité star.

— Il fait un temps à déboucher une Duchesse Anne patron.

— J’en conviens.

— On peut avoir une gamelle d’eau pour Le Chien patron ? Vous savez il vient de monter la côte, il n’est plus tout jeune. Et comme me dit souvent ma femme, ne fait jamais quelque chose que tu regretterais si tu ne l’as pas choisi !

— C’est ok inspecteur, c’est ok.

— Ah, vous avez deviné ? Vous me connaissez ?

— Tout le monde vous connais Necrolumbo. Vous êtes le seul flic de Limoges à ne faire chier personne, tout le monde le dit.

— Ah, c’est gentil, je ne savais pas ce que les gens pensaient de moi. Mais ce n’est pas toujours ce qui vous permet d’être aussi juste que ce que vous croyez. Le monde d’aujourd’hui est plein de personnes qui sont capables de vous mettre plus bas que terre alors que vous ne faites que le bien. Mais je ne vais pas vous embêter avec mes problèmes, juste une bonne bouteille de Duchesse Anne, ça ira !

— Au petit J on n’embête personne inspecteur, on accompagne les souvenirs et la mélancolie, on aide les perdus à se retrouver, on donne du carburant aux fatigués de la vie, on dépayse les instants lourds… bref, on se socialise entre désocialisés. J’amène la Sainte Anne, on va la boire ensemble.

(à suivre…)

©Necrolumbo by Necromongers

Une enquête de l’inspecteur Necrolumbo (part 7).

Les semaines passaient, et rien n’arrivait à vraiment affoler Limoges. Oui, de nombreux cas avaient été déclarés et aussi quelques clusters, mais franchement, dans la rue, rien de bien extraordinaire à réprimer. Des centaines de gens s’étaient découvert une passion pour la course à pied, et autant venaient de découvrir qu’ils avaient un chien.

De toute façon cette situation agaçait d’autant plus Necrolumbo, dans la mesure ou en plus de ne rien pouvoir vraiment faire il ne touchait pas le chômage partiel en tant que fonctionnaire d’état. Alors oui, sans doute était-il bien mieux lotis que bon nombre de ses concitoyens, mais le méritait-il ?

Les rues étaient absolument désertes, les boulangeries étaient toujours ouvertes, il y avait bien quelques troquets qui distillaient des cafés touillettes amenant quelques individus à faire obstacle devant l’entrée, mais rien de bien phénoménal.

Les punk à chien sans laisse étaient toujours de la partie, n’ayant nulle part où aller. En revanche, plus aucune nouvelle de l’homme en bleu, ni de la plupart des partis politiques inutiles qui d’habitude assommaient les gens avec leur prétention rédhibitoire.

Voir Limoges encore plus désertée qu’à 15 minutes du centre ville, c’était du jamais vu. Une ville livrée aux chiens d’aveugles qui faisaient du jogging pour la première fois, et d’enfants courant sans laisse dans les rues chaudes passé 21h. Même pour une ville considérée par les parisiens comme le fief des ploucs, de mémoire, jamais la province n’avait été aussi désertée, sauf peut être pendant la guerre. Et tout le monde le sait bien, ici chez les campagnards la Waffen SS avait défouraillé une petite commune, Oradour-sur-Glane. Necrolumbo se mit à imaginer la chose avec un méchant virus, quoi de plus ridicule qu’un déploiement de SS avec des masques et du gel hydroalcoolique… « n’empêche… » se dit-il « avec les gestes barrières ça aurait pu tout changer ! ».

Son Nokia 5110 le sortit de ses pensées historiques en entonnant le ringtone « grande valse ».

Oui allô j’écoute !

ÉVIDEMMENT QUE VOUS ÉCOUTEZ NECROLUMBO ! SINON ÇA NE SERAIT PLUS UN TÉLÉPHONE ! Hurla le commissaire Bouldener !

Pardon commissaire, je ne vous avais pas reconnu !

BIEN SÛR QUE NON JE N’AVAIS PAS ENCORE PARLÉ ! Non mais franchement Necrolumbo, rappelez-moi comment vous êtes devenu inspecteur ? J’ai l’impression que ce jour-là on aurait dû être en confinement !

Ah ah ! Ah oui ! Je ne sais plus très bien à vrai dire. Je crois me rappeler que lorsque j’étais jeune je rêvais de devenir gradé dans la police et un jour que j’ai croisé l’adjud…

ON S’EN FOUT ! Contentez-vous d’écouter !

Ah je… très bien commissaire, très bien ! Donc je vous écoute, je suis tout ouïe, je n’ai d’oreilles que pour v…

ÇA SUFFIT ! Vous m’épuisez Necrolumbo ! Sans vous avoir encore rien dit vous m’épuisez !

Pardon commissaire, allez-y !

Nous avons un problème sérieux ! Les parents d’une petite fille que vous auriez rencontrée il y a quelques semaines en bord de Vienne portent plainte contre vous pour, je les cite « propos déplacés à caractère ambigu et sexuel ». De plus, avec votre grand pardessus crasseux ça fait genre pervers, et le chien attire les enfants.

Mais… je ne comprends pas commissaire. Je me souviens bien de cette petite fille, assez pour me souvenir que c’était elle qui avait un langage un peu déplacé, très familier, et une attitude légèrement mal élevée au final.

Ne cherchez pas midi à quatorze heure Necrolumbo, rappliquez illico dans mon bureau !

(à suivre…)

©Necrolumbo by Necromongers

Necrolumbo7

Une enquête de l’inspecteur Necrolumbo (part 6).

Déjà une semaine que le confinement était de rigueur. Plus question pour Necrolumbo de parader avec son jogging des familles, il fallait qu’il soit impeccable et dissuasif. Pour l’occasion il avait ressorti son plus beau pardessus poussiéreux, avait briqué son Peugeot et sorti son plus beau casque bol.

Limoges n’était déjà pas spécialement vivante la plupart du temps, mais pendant le confinement merci bien. L’expression « pas un chat » n’avait pas lieu d’être, car il n’y avait plus qu’eux dehors. Ah si bien sûr, il restait les punks à chiens sans laisse et les sdf de trottoir.

Un si beau temps pour tant de gens enfermés, ça ressemblait à une enquête sans chef d’accusation. Les cigarillos n’avaient plus la même saveur sans personne à enfumer avec. En dehors de ses tournées de garde, Necrolumbo passait son temps à promener son chien avec une attestation. Et c’est à ces moments de soirée tardive, que le peuple se permettait de sortir outre mesure vis à vis des recommandations. Mais sa femme lui avait fait un sermon « si tu passes ton temps à pister, piéger et sanctionner les gens qui essaient juste de prétendre à encore un peu de liberté en étant seulement dehors, tu ne vaux pas mieux qu’eux ! ».

C’est pourquoi Necrolumbo passait ses journées à faire la queue devant des boulangeries pour acheter des petits pains à sa femme, et le soir il sortait le chien en civile pour discuter avec les badauds. En bref, il faisait tout pour n’avoir à mettre aucune amende à personne.

Ce soir il profitait des derniers moments de bords de Vienne pleins de vies, car il savait que très vite la préfecture allait y interdire les promenades. Avec ou sans attestation, les gamins à vélo sans parents et les gens sans chiens s’y baladaient.

Alors que son chien, « Le chien », déposait une sévère amende sur le bout de pelouse aux abords du pont Saint-Étienne, une petite fille curieuse s’arrêta pour engager la conversation avec lui.

Hé salut le chien !

C’est incroyable tu connais déjà son nom !

Ça va le chien ?

Oui, alors c’est ce que je viens de t’expliquer, c’est son nom, tu l’as trouvé du premier coup.

Tu chies bien le chien ?

Oh ben dis donc, comment tu y vas toi ! Et bien oui, il me semble qu’il s’essaye à la liberté lui aussi, mais elle est un peu poussive.

La petite fille fit quelques caresses hésitantes sur la tête de Le Chien pendant qu’il poussait encore assez fort sa 4ème crotte.

Alors tu sais, il aime bien aussi, comme tout le monde, être un peu tranquille quand il fait ses besoins. Tu es toute seule ? Personne ne t’accompagne pour sortir ? Tu sais qu’en ce moment la situation nous oblige à sortir le moins possible à cause du méchant virus ?

La petite fille pivota la tête en direction de Necrolumbo avec une moue de désapprobation.

Et toi ? C’est ton chien qui te sort de chez toi pour te promener ? T’es trop vieux pour avoir des enfants à la maison, t’es de la police ? Elle se releva et continua son chemin sans se retourner.

Necrolumbo la regarda partir en tirant une grosse taffe sur son cigarillos. Il était évident que le monde allait être compliqué à museler pour une histoire de microbe invisible et quelques crottes sur la pelouse, et puis en ville, franchement, toutes ces familles dont on ne sait pas si ça se passe bien ensemble…

En repartant il écrasa une crotte de Le chien avec son godillot en râlant après sa femme qui ne le sortait jamais.

(à suivre…)

 

©Necrolumbo by Necromongers

Necrolumbo6

Une enquête de l’inspecteur Necrolumbo (part 5).

Ce mardi était le premier jour de confinement décrété par le président Macron. Cependant, hormis le fait que cela devenait officiel à partir de midi, il était entendu qu’une certaine partialité était tolérée ce jour précis, pour laisser s’organiser la majeure partie de la population.

Necrolumbo n’était pas venu avec son chien au commissariat. Il avait entendu dans le silence du commissaire Bouldener une sorte d’appel à la partialité de son questionnement. Il avait opté pour un style décontracté et sportif à la place, et avait rempli une attestation fournie par le ministère pour venir au poste, en le faisant imprimer sur leur HP Deskjet depuis l’ordinateur de sa femme. Il lui avait fait une entière confiance (comme à son habitude), ce genre d’aspect technique le dépassait complètement. Il n’avait eu qu’à faire une croix sur la case « déplacements entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle », s’asseoir, et tirer une grande taffe sur son cigarillos.

Son arrivée à Émile Labussière en survêtement Tacchini bleu ciel lycra et en Nastase Addidas fût une sorte de coming out pas du tout décrété, ni même officialisé. Les troufions bleu bite le regardèrent passer sans savoir s’ils devaient pouffer ou regarder ailleurs.

Necrolumbo entra en l’état dans le bureau du commissaire Bouldener.

Mais… bordel Necrolumbo ! Qu’est-ce qu’il vous prend de venir dans cette tenue ?

Necrolumbo fit un sourire crispé, déploya sa main droite en l’air futilement, et mis l’index de sa main gauche sur sa tempe en déclarant :

Et bien, vous allez rire monsieur le commissaire, mais je me suis longuement posé la question avec ma femme sur la bonne attitude à adopter pour être sûr de sortir comme il faut, et… je ne suis pas certain de mon choix ! Mais j’ai mon attestation ! Dit-il en brandissant son bout de papier imprimé.

Bon sang ! C’est très bien, asseyez vous.

On ne peut pas réellement dire que les explications du commissaire aient vraiment fait oublier l’accoutrement de Necrolumbo aux personnes présentes dans son bureau. Mais tout ça n’avait pas beaucoup d’importance. S’il y avait bien un truc auquel l’inspecteur ne faisait pas attention, c’était l’incidence de son comportement sur celui des autres.

Le débriefing avait été court et simple. Les enquêtes en cours non importantes et non urgentes étaient reléguées au placard, et la principale activité se bornait maintenant à la surveillance du bon comportement des gens dans le respect des mesures liées au confinement. Un boulot qui n’amusait pas beaucoup Necrolumbo, qui voyait dans cette mission un retour en arrière dans sa carrière. Évidemment, il était en charge d’une brigade pour opérer sur le terrain, mais finalement ses planques pour surveiller les boulangeries n’en seraient que meilleures, et d’une certaine façon cela l’arrangeait assez.

En quittant le commissariat en survêtement Tacchini bleu ciel lycra, il tomba nez à nez avec l’homme en bleu, qui remontait l’avenue Émile Labussière, vers le carrefour qui séparait la rue de Bellac et l’avenue Montjovis. C’était une figure de Limoges, une sorte d’emblème local. Depuis maintenant des dizaines d’années, il circule sur un vieux vélo de femme en bleu de travail et bottes (quelle que soit la saison), affichant le teint rougeâtre des paysans bercés au vin de pays à 10° depuis l’enfance. On peut le croiser régulièrement partout à Limoges à peu près n’importe quand la journée. Originaire de la commune de Aureil, on peut imaginer qu’il fait au moins une bonne quarantaine de kilomètres par jour dans n’importe quelles conditions.

Y avait-il des boulangeries-pâtisseries à Aureil ? Le lieutenant Necrolumbo n’en savait strictement rien de rien.

(à suivre…)

©Necrolumbo by Necromongers

Necrolumbo 5

Une enquête de l’inspecteur Necrolumbo (part 4).

Les profiteroles et les glands avaient eu le plus grand effet sur Mme Necrolumbo, et nous pourrions pour ainsi dire expressément, que d’une certaine façon, d’aucune autre sorte il n’avait escompté un tel effet. La décence interdisant d’en expliciter le contenu, nous passerons volontiers sur ces retrouvailles de réconfort en plein quartier des ponticauds.

Perplexe et toujours dubitatif, Necrolumbo réfléchissait encore à l’histoire de cette boulangerie qui avait fermé avant l’heure précise dimanche dernier. Ça n’avait pas de sens commun. Et puis vous comprenez bien que si demain tous les commerces venaient à fermer n’importe quand et n’importe comment, ce serait plus ou moins la fête du slip devant les boutiques !

Il fallait qu’il se change les idées, pour renouveler sa matière grise. Allumant son téléviseur couleur Brandt, branché sur un récepteur numérique de TNT (comme il se devait pour continuer à recevoir les nouvelles du monde extérieur de nos jours), il tomba nez à nez avec Emmanuel Macron en pleine élocution. Tellement emporté par les étincelles de ses questionnements et les frasques de ses enquêtes en cours, il avait totalement mis de côté ce petit mystère ambiant assez récent, qui consistait à dire qu’un petit virus de la taille d’une grippe tentait de s’introduire dans le monde.

Le ton était grave. Les mots choisis assez conséquents. L’allure ferme et conquérante. Six fois de suite il utilisa l’expression « nous sommes en guerre ! ». Il aurait voulu inventer le Général de Gaulle s’il n’avait pas déjà existé, qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Sur un vieux téléviseur Brandt des années 80, le passé donnait l’impression de ne pas prendre une ride.

La nouvelle lui était tombée comme un sac de farine de 50kgs sur les épaules, les boulangeries allaient être bien plus fréquentées et dévalisées. Le président venait d’annoncer le confinement général en vu d’enrayer le virus du Covid-19.

Est-ce que ses enquêtes en cours étaient suspendues ? Sa plaque lui permettrait-elle de sortir sans autorisation sans son chien ? Devait-il obligatoirement se mettre au jogging ? Restait-il du pain ? Autant de questions qui s’entrechoquaient dans sa tête sans réponses fiables et mesurées.

Son GSM sonna, il indiquait « Commissaire Bouldener ».

Allô commissaire ?

Necrolumbo ! Combien de fois vous ai-je dit que me demander si c’était moi alors que mon numéro est enregistré et s’affiche, est ridicule ?

Ah oui c’est vrai commissaire, c’est un vieux réflexe du temps où je décrochais le combiné à cadran du boudoir, pour être sûr !

Et vous saviez si c’était moi au bout de votre ancien combiné à cadran de votre boudoir ?

Ah bah non, non plus commissaire, non je ne le vous cache pas.

ET BIEN CONTENTEZ VOUS DE DIRE ALLÔ !

Ah mais oui, mais très bien ! Donc Allô monsieur, allô ! C’est bien vous ?

Quelques secondes passèrent longuement…

Necrolumbo ! Vous êtes prié de vous présenter demain à la première heure au commissariat ! Nous ferons le point à propos de nos missions à tenir vis à vis de la décision du gouvernement sur le confinement !

Ah oui, bon, c’est noté commissaire. Je dois venir avec mon chien ?

Une des raisons pour lesquelles Necrolumbo n’était encore qu’inspecteur, tenait sans doute à quelques petites habitudes d’un temps qu’il était difficile de vraiment mesurer.

(à suivre…)

©Necrolumbo by Necromongers

18825166.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx2

Une enquête de l’inspecteur Necrolumbo (part 3).

Il rappela son chef sur le parking de la boulangerie.

Allô ? Mais enfin qu’est-ce que vous foutez Necrolumbo  ! Ça fait 25 minutes que j’essaye de vous avoir !

J’avais perdu mon GSM commissaire, faut que je vous explique. Il avait glissé jusque sur mes chaussures par une poche trouée, et tandis que je conduisais mon…

J’EN AI RIEN A FOUTRE NECROLUMBO ! Et combien de fois il faudra que je vous le dise, on dit portable de nos jours, pas GSM !

Ah c’est vrai, je vous remercie de me le rappeler commissaire, je ne m’y ferais jamais.

Bon y’a plus urgent pour l’instant. Une explosion vient d’avoir lieu rue de La Souterraine, dans le secteur Carnot-Marceau, une maison à été soufflée. Allez voir ce qu’il a bien pu arriver, et revenez me faire un rapport.

Entendu, j’y cours commissaire. Euh, sans vouloir vous ennuyer d’avantage, vous savez s’il y a une boulangerie à proximité ? C’est pas tellement pour le pain en fait, ça je l’ai déjà, mais je cherche des petites pâtisseries pour ma femme, c’est son petit péché mignon, et depuis hier je ne cesse de la décevoir, vous connaissez les femmes, il…

VOUS M’EMMERDEZ NECROLUMBO ! MAGNEZ-VOUS !

Ah oui, pardonnez-moi commissaire, j’y vole, je raccroche là.

Le plus court depuis la rue Armand Dutreix c’était de prendre la rue d’Antony, couper par Croix-Buchilien, Rue de la résistance Limousine, pour rattraper l’Avenue Berthelot, qui se transforme en Adrien Tarrade, et déjà on était à Carnot. La place Carnot c’est un de ces ronds-points épique de la ville où il y a des feux. C’est très mal foutu. On s’engage parce que c’est vert, mais à la moitié ça peut l’être aussi pour d’autres, et de fait il y a une priorité à droite qui s’applique, en plein milieu du rond-point. C’est un petit miracle qu’il n’y ai pas plus d’accidents quand on y pense.

[Mais je vous raconte tout ça, il nous faut laisser l’inspecteur aller au plus vite Rue de la Souterraine pour sa nouvelle enquête officielle].

Ni une ni deux, il enfila son casque bol, enfourcha la bécane plantée sur les béquilles et se mit à pédaler férocement pour lancer le moteur. En moins de 10 minutes il était sur les lieux.

Effectivement, c’était tout à fait ce qu’avait dit le commissaire, la maison avait été soufflée. Les pompiers avaient dégagé deux personnes âgées des décombres. Leur pronostic vital n’était pas engagé (vu la maison c’était fou). Le gaz avait été coupé dans tout le quartier, car il semblerait que cela en soit la cause. La plupart des voisins présents restaient ahuris par l’intensité de l’explosion, mais il faut croire qu’avec le gaz c’est toujours comme ça, impressionnant. Bon, et bien il ne voyait pas quoi faire d’autre, c’était un accident classique.

Il fit le numéro de son chef.

C’est Necrolumbo commissaire, rien à signaler, simple accident domestique.

« bonjour, vous êtes bien sur le répondeur du commissaire Bouldener, momentanément dans l’impossibili…»

Ah, le répondeur, a chaque fois je me fais avoir.

« … té de vous répondre, n’hésitez pas à me laisser un message ou me rappeler ultérieurement »

Oui commissaire c’est Necrolumbo. Alors comme je disais avant le bip pour laisser un message…

« biiiiiiiiiiiiip ! »

Ah ben non, je me suis encore fait avoir par cette saleté de technologie à laquelle je ne comprends rien. C’est sûrement le bip de fin. Bon, il ne me reste plus qu’à trouver une pâtisserie.

(à suivre…)

©Necrolumbo by Necromongers

Sans titre654

Une enquête de l’inspecteur Necrolumbo (part 2).

L’apéritif commença plus tard que prévu. La faute au pain qu’il avait dû aller chercher aussi loin qu’un 102 pouvait emmener.

Necrolumbo était distrait sur l’attention qu’il aurait dû porter à ses convives, distrait par les questions qui l’envahissaient. Et sa femme le lui fit remarquer. Il s’excusa, en tirant une taffe sur son cigarillos Café Crème, et pria l’assemblée de lui permettre de s’éclipser quelques instants.

Comment diable une boulangerie pouvait fermer avant l’heure dite et officielle ? Que savaient les punks à chien sans laisse à propos du boulanger ? Comment une mairie de droite pouvait laisser faire ça ? Est-ce que les chaînes de boulangeries allaient continuer à prospérer suffisamment pour faire tomber le dictât des distances les jours de bus toutes les heures ? Pourquoi s’était-il emmêlé les guibolles dans les pédales du 102 ?

Il tournait et retournait dans le boudoir, que sa femme avait matérialisé entre un bout de couloir et deux portes menant à la cuisine et dans le salon, sans jamais arriver à trouver un indice valable. Les cigarillos se consumaient comme la pluie sur la neige, ce qui en général, fait une couleur une peu crade.

L’après-midi passa comme une crêpe qui saute sans jamais cuire.

Le lendemain, n’y tenant plus, vers 9h56, Necrolumbo enfourcha son fidèle destroy à pédale, fagoté de son imper flashy, et retourna en centre ville, un lundi.

Limoges un lundi c’est un peu comme n’importe quel autre bled en début de semaine. Les mêmes rues, les mêmes carrefours, les mêmes ronds-points à feux (alors là c’est particulier, mais bon, c’est pas courant en fait, rarement vu ça ailleurs), les mêmes halles au sol glissant qui font des accidents, les mêmes places en travaux depuis des années, la même Vienne au même endroit toute l’année… enfin ce genre de truc quoi.

Il gara son engin près de la mairie, dans l’étroite rue Delescluze en sens unique, sur le trottoir, là où tout le monde faisait régulièrement chier. De toute façon les piétons ça n’existait plus vraiment. Entre les Uber Eats à vélo ou en scooter, les trottinettes électriques et les IMC en fauteuil tout terrain, Limoges n’avait plus d’avenir sans danger.

Devant l’épicerie de nuit ouverte le jour, plus aucune trace des punks à chien sans laisse. La boulangerie convoitée était fermée le lundi. Sa femme venait justement de lui envoyer un sms pour lui demander de ramener du pain. Il n’avait pas congelé celui de la veille acheté à Pat à Pain, et on peut aisément dire que c’était suffisamment de la merde pour qu’il ait durci en si peu de temps.

Les enquêtes le lundi ça devenait n’importe quoi.

Son Nokia 5110 se mit à vibrer au fond de sa poche trouée. Le téléphone vint se coller contre la partie la plus charnue de son slip, agité par les secousses régulières de la sonnerie muette, c’était agréable, il commençait à bander. Mais ce n’était pas le but de la manœuvre, et c’était peut-être important. Il chercha à vite l’attraper, mais en essayant il poussa le téléphone et celui-ci s’engouffra dans le trou de sa poche. Le combiné glissa le long de sa jambe.

A plusieurs reprises il tenta de le saisir enfonçant sa main profondément à l’intérieur du pantalon. Ce n’est qu’en relevant la tête qu’il s’aperçut que son geste (au vu des nombreux passants le dévisageant du regard), ressemblait avec insistance à un mime masturbatoire.

Il venait de se ridiculiser, son enquête n’avançait pas vraiment, et l’appel de son chef n’avait pas abouti. Il était temps de décamper.

Mais avant, trouver une boulangerie un lund… ah, merde, bon, Pat à Pain.

(à suivre…)

©Necrolumbo by Necromongers

Sans titre87

Une enquête de l’inspecteur Necrolumbo (part 1).

Limoges, 2022. 11h45.

Tout en enfilant son pardessus Castelbajac poussiéreux, l’inspecteur Necrolumbo enfourcha son 102 sp Peugeot. Après deux/trois coups de pédales incertains, et quelques mètres en danseuse dans la pente de la mairie, l’engin pétarada joyeusement.

Il venait de recevoir un appel de sa femme sur son Nokia 5110 jaune, qui allait parfaitement avec son pardessus. En ce dimanche pluvieux d’automne, l’heure était parfaitement grave. Le gigot était presque prêt, les invités n’allaient pas tarder à arriver, et détail sordide : il manquait du pain.

L’élan pris dans la descente avait donné du peps au moteur de la mobylette, mais on s’éloignait du centre, et donc des boulangeries. Demi-tour torride juste avant le périphérique dans un fracas de gomme à faire pleurer la circulation s’il y en avait eu. Les dimanches à Limoges c’est pas comme à Bamako.

11h51. La côte semblait interminable. Le dernier Massey Ferguson fut horriblement dur à doubler avant que le feu ne passe au rouge. Il restait 50 mètres avant le prochain feu, et la première boulangerie était proche de l’épicerie de nuit ouverte toute la journée (une spécialité Limougeaude). En montant bruyamment sur le trottoir et en garant précipitamment sa 102 devant quelques punks à chiens sans laisse stationnant devant l’épicerie, son imper coloré se prit dans une des pédales et il se ramassa joyeusement sur le bitume.

Jusque là, rien ne trahissait vraiment l’atmosphère de la ville, mais le drame et l’inquiétude monta d’un cran quand à 11h59, à la vue de la boulangerie fermée, Necrolumbo fut prit d’un doute. Sa montre à gousset était-elle bien remontée ? Avait-il bien changé d’heure comme Jean-Pierre Pernaud le leur avait conseillé la veille ? Sa chute en descendant du Peugeot avait-elle cassé sa montre ? Les punks à chiens qui s’engueulaient avaient-ils l’intention de ne lui donner aucun renseignement valable ? Limoges était-elle le dernier fief LR à décapitaliser les dimanches commerçants ?

Les questions se bousculaient dans sa tête, mais le problème était le même, trouver du pain, un dimanche après-midi, à Limoges, en 102 sp, c’était l’assurance d’arriver en retard à l’apéro. Prit d’un doute fortement supplémentaire, il posa sa main droite sur son visage en appuyant son pouce sur la joue et l’index sur son front, et s’adressa à un jeune déluré tout défagotté devant l’épicerie.

Pardon de vous déranger mais… vous auriez l’heure ?

Il est l’heure de picoler papy ! T’en veux une ? Dit-il en lui tendant une 8.6.

Oh non je vous remercie, vous êtes très aimable mais je ne bois jamais quand je conduis. D’ailleurs, ma femme me dit toujours que j’ai tendance à prendre la chose trop à cœur.

Ben casse toi alors ! Nous on cause qu’aux gens qui boivent !

Oh ! Je vois. Je vous prie de m’excuser, j’ai cru un instant que vous auriez pu me renseigner sur les horaires d’ouvertures de la boulangerie d’à côté.

C’est quoi ton problème avec la boulangerie le poulet ?

Ah ! Vous m’avez percé à jour, ça se voit tant que ça que je suis de la police ?

Le petit groupe de punk à chien sans laisse se prirent ensemble d’un fou rire général.

Ça se voit comme sur la gueule à Lombertie qu’il est de droite !

Oui je comprends, il y a des artifices qui ne trompent pas. En même temps vous conviendrez que de votre côté on imagine très bien aussi que vous n’êtes ni de droite ni de gauche.

Oh hé ! Tu nous insultes pas papy ! On est anarchiste nous, rien à voir avec la clique à Macron !

Oh non ! Non ! Rien à voir avec tout ça ! Vous savez, moi, je ne cherche que du pain. Et je me demandais d’ailleurs si vous saviez pourquoi le boulanger avait fermé avant midi ?

On regarde jamais l’heure nous papy, et pis c’est dimanche hein, y te reste Pat à Pain et la boulange d’à côté qui sont ouverts la journée rue Armand Dutreix !

Necrolumbo acquiesça gentiment de la tête avec un sourire, et commença à s’éloigner. Mais il s’arrêta au bout de quelques mètres, pensif, et revint sur ses pas.

Pardon, j’allais vous suivre mais, vous êtes sûr que l’Epis Gaulois ne serait pas ouvert aussi à Lattre de Tassigny ? C’est moins loin, et ma femme me dit toujours que les chemins les plus cours sont toujours les plus simples. Parce que vous comprenez, en 102, avec tout ces Massey Ferguson…

(à suivre…)

©Necrolumbo by Necromongers

Sans titre98